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Rapport Parlementaire sur le socle commun au collège (Jacques Grosperrin)

7 avril 2010

Extraits du Rapport Parlementaire sur le socle commun au collège (pour la version complète, cliquer ici)

1. Une évaluation fondée sur la confiance pour renverser la « constante macabre »

En France, la notation fonctionne comme un système de tri, permettant de classer et d’orienter les élèves vers les filières d’excellence … et les autres.
Selon le fondateur du Mouvement contre la constante macabre, M. André Antibi, elle transforme chaque examen en « concours déguisé », notre société attachant en effet une grande importance aux classements qui en résultent. Subissant cette pression sociale, les enseignants se sentent obligés, pour être crédibles, de mettre un certain pourcentage de mauvaises notes. Cette « constante macabre » conduit donc à ce qu’un certain nombre d’élèves se trouvent arbitrairement placés en situation d’échec scolaire, dans le seul but de maintenir la crédibilité du système  d’évaluation.

Les politiques de lutte contre l’échec scolaire sont de ce fait rendues inopérantes, tandis que notre École souffre d’un trop plein de manque de confiance et de stress et d’élèves à qui les parents offrent des cours particuliers pour survivre à cette perpétuelle compétition sournoise. Il n’est pas étonnant que, dans ces conditions, la France occupe une place médiocre – vingt-deuxième sur vingt-cinq pays – dans le domaine de la qualité de vie à l’école selon un classement établi par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
D’autres reproches peuvent être faits à ce système de « tri sélectif », dont certains ne sont pas sans conséquence pour l’avenir de notre pays. Le premier tient à l’absurdité du rôle joué par la moyenne, le sésame obligé pour passer d’une classe et d’un diplôme à l’autre. Ainsi que l’observe le Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale, la France est le seul pays au monde où le fait de ne pas savoir la moitié des connaissances à acquérir permet malgré tout de
progresser dans le cursus scolaire. En outre, l’obsession de la note et du classement ne constitue pas, de toute évidence, une garantie d’efficacité de notre système d’enseignement. Elle n’empêche pas notre pays de disposer d’une faible élite en mathématiques – l’enquête 2006 de PISA montre ainsi que le pourcentage d’élèves français de 15 ans situés au niveau 5 de compétences est de 9,9 %, contre plus de 20 % en Finlande, en Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas – et ses universités
d’être mal classées par l’université Jiao-tong de Shanghai, aussi contestable soit la méthodologie utilisée par cet établissement (l’Université Pierre et Marie Curie, la première qui figure dans le palmarès 2009, occupe la quarantième place).
Alors faut-il supprimer les notes ? La problématique est ancienne, comme le rappelle l’Inspection générale de l’éducation nationale : « La circulaire du 6 janvier 1969, relative aux compositions, notes et classements (premier et second degrés) a marqué une étape importante dans ce domaine : elle supprime les compositions (contrôle sommatif et final), les remplace par des exercices de contrôle plus réguliers (contrôle continu), substitue à la notation chiffrée de 0 à 20 une échelle
d’appréciation à 5 niveaux (de A à E ou de 1 à 5). Cette circulaire instaure une véritable rupture avec le système de contrôle précédent : d’une part le classement des élèves et la compétition instaurée au sein de la classe sont contestés comme point d’appui de l’appréciation des connaissances des élèves, d’autre part la primauté de la confrontation à la norme est abandonnée au profit de la prise en compte de la démarche de l’élève. Plus que ses performances finales ce sont les progrès de l’élève que l’on doit repérer ».
Que s’est-il passé depuis 1969 ? Rien ou presque. En réalité, le dispositif d’évaluation n’a pas évolué en raison de l’attachement « culturel » des enseignants et de la société, dans son ensemble, au système de la notation, malgré ses effets pervers. Par conséquent, si l’on ne peut espérer, à court terme, son abandon, on devrait toutefois en limiter ses effets négatifs en lui apportant un correctif : le recours à des évaluations davantage fondées sur la confiance. Deux méthodes complémentaires pourraient être utilisées à cet effet :

  • la première repose sur des contrôles donnant lieu à une notation chiffrée, mais intégrés à un système d’« évaluation par contrat de confiance » selon les modalités préconisées par M. André Antibi, le président du Mouvement contre la constante macabre. Ainsi, une semaine avant chaque contrôle de connaissances, le professeur distribue aux élèves une liste substantielle – pour éviter le « par cœur » – de points (cours ou exercices), déjà traités, en précisant que les quatre-cinquièmes de l’épreuve portent sur certains points de cette liste. Deux ou trois jours avant l’épreuve, l’enseignant organise une séance de questions-réponses au cours de laquelle les élèves peuvent demander des explications sur certains points de la liste. Avec ce système, les notes augmentent, en moyenne, de deux ou trois points, certains élèves obtiennent des sauts de note spectaculaires et ceux en réelle situation d’échec scolaire, qui ne doivent pas être confondus avec ceux artificiellement sacrifiés pour les besoins de la « constante macabre », sont clairement identifiés. Des mesures de remédiations – d’autant plus efficaces qu’elles sont ciblées – peuvent alors leur être proposées.
  • la seconde méthode consiste à développer, chez les élèves, les compétences d’évaluation entre eux ou d’autoévaluation. Cet objectif, qui est l’un des plus difficiles de l’évaluation dite formative, vise à faire en sorte que les élèves soient capables d’évaluer et de réviser leur travail. Ainsi que le souligne un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques consacré à cette forme d’évaluation, les professeurs qui recourent à cette méthode espèrent que les élèves seront capables « de déterminer par eux-mêmes ce qui manque à leur travail et ce qu’ils doivent faire ensuite, et de prendre la responsabilité de poursuivre jusqu’au bout les étapes suivantes ». Ces formes d’évaluation sont tout à fait à la portée des classes du collège, ainsi que le montrent les exemples – un français et un étranger – mentionnés ci-dessous.

Évaluation entre pairs et auto-évaluation
Académie de Versailles, collège éducation prioritaire

La professeure distribue en fin de séance une liste claire (traduite des instructions officielles en termes compréhensibles pour les élèves) des savoirs et savoir-faire attendus des élèves. Lors des séances expérimentales, les élèves apprennent à s’auto-évaluer avec l’aide de la professeure : ils disposent d’une feuille de suivi qui indique clairement les compétences qui doivent être acquises ; les élèves disposent, à côté du protocole, d’un tableau à 2 colonnes (bonhomme souriant/grimaçant ou acquis/non acquis) dans lequel ils inscrivent, avec la professeure, le niveau atteint. De même lors des séances de cours, dans lesquelles ont lieu des évaluations formatives. Les élèves ont alors à leur disposition un classeur au fond de la salle de classe, où sont disposés des exercices de remédiation classés par compétence/savoir, destinés à travailler tel point particulier. Progressivement, au cours de l’année, les élèves prennent l’habitude d’aller d’eux-mêmes emprunter le classeur pour approfondir la notion qui pose problème. Lors des évaluations sommatives qui suivent, la professeure évalue le taux de réussite par compétence, sans nécessairement procéder par compensation d’un item à l’autre : les progrès constatés dans l’acquisition d’une compétence, après qu’elle a été identifiée comme non acquise lors des évaluations formatives, sont très nets.

En Finlande

À l’école Meilhati, les enseignants ont conçu un formulaire d’auto-évaluation (que les élèves complètent à la fin de chaque trimestre, quatre fois par an) après l’instauration de l’obligation nationale faite aux établissements de privilégier le processus de développement individuel des élèves. Les enseignants mettent des appréciations (par exemple, B = bien, M. = moyen, P = essais et pratiques nécessaires). En classe, les élèves et les professeurs remplissent un petit questionnaire sur leurs habitudes d’étude. En année 7 [13 ans], le questionnaire concerne leurs habitudes d’étude et leur bien-être à l’école et en classe ; en année 8, leurs habitudes d’étude et leur comportement et en année 9, leurs habitudes d’étude et leur attitude envers l’apprentissage. D’après les enseignants, les élèves s’auto-évaluent très bien. Ces évaluations sont communiquées aux parents qui peuvent les commenter. À l’école Tikkakoski, les enseignants ont eux aussi mis au point un système d’auto-évaluation des élèves reposant sur des bulletins établis à la fin de chacune des cinq périodes de sept semaines formant l’année scolaire. Les élèves déterminent la note qu’ils attendant dans chaque matière, évaluent leurs habitudes d’étude et leurs progrès, ces concepts étant expliqués au verso du bulletin. Ils sont ensuite notés par leur professeur. En cas d’écart de deux points ou plus, l’enseignant et l’élève discutent ; mais en grande majorité, la note que les élèves se donnent et celle de leur professeur sont très proches (sans doute les feedbacks fréquents en classe aident-ils les élèves à s’évaluer).

Source : Extraits de « La contribution de l’éducation prioritaire à l’égalité des chances », rapport n° 2006-076 de l’Inspection générale de l’éducation nationale et de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, octobre 2006, et de « L’évaluation formative. Pour un meilleur apprentissage dans les classes secondaires », OCDE, 2005.

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